Le poème anonyme moyen-anglais de la fin du XIVe siècle en vers allitérés, Sir Gawain and the Green Knight, s’ouvre pour ainsi dire sur l’évocation des festivités de Noël et du Nouvel An à la cour du roi Arthur. Les festivités à Camelot s’étalent, précise le poète, sur deux semaines, s’achevant deux jours après l’Épiphanie. Sur plusieurs strophes court une alléchante description détaillée du faste déployé, notamment de la qualité des mets servis et des divertissements avec lesquels le souverain régale ses hôtes. Je m’interrogerai sur la dimension singulièrement visuelle, quasi cinématographique, que revêt la peinture de cette célébration de la Nouvelle Année. Je m’emploierai à démontrer avec quelle habileté le poète de Gawain, au moyen d’un riche et foisonnant lexique et d’un style finement ouvragé, « enlumine » cette scène de liesse insouciante qui réunit les chevaliers de la Table Ronde. L’incipit de la diégèse marque l’inauguration de la nouvelle année dans les calendriers de la nature et de la liturgie chrétienne. Il n’est donc pas fortuit que ces premières strophes soient le théâtre du surgissement d’une « merveille » qu’Arthur appelle de ses vœux. Il ne peut, déclare-t-il, se résoudre à fêter l’année qui commence sans assister au préalable à une aventure, événement de nature prodigieuse qui « advient », comme l’étymologie le sous-entend. C’est précisément au cours du luxueux banquet, assorti de danses joyeuses, à la cour du plus prestigieux souverain d’Angleterre que fait irruption un insolite visiteur de taille anormalement imposante, tout de vert vêtu, brandissant un brin de houx et une lourde hache. Le terrifiant défi qu’il lance aux preux d’Arthur met à l’épreuve la vaillance et la témérité des jeunes combattants de la Table Ronde. En relevant le défi, Gawain entame une quête éprouvante. Un an plus tard, par un hiver glacial, à l’issue d’une longue et périlleuse errance, il parvient chez un noble seigneur. Le jeune chevalier « in the making » est reçu avec tous les honneurs dus à son rang et sa renommée. La fête d’accueil donnée par son hôte égale le déploiement de magnificence qui caractérisait la célébration de la Nativité à la cour arthurienne un an plus tôt. Une mise en regard attentive des deux séquences festives permettra d’éclairer seulement quelques-unes des multiples significations de cette aventure, qui plonge le lecteur encore aujourd’hui dans une perplexité mêlée d’émerveillement. La récente sortie, en 2021, sur les écrans de cinéma du film de David Lowery, The Green Knight, atteste cette fascination que continue d’exercer Sir Gawain and the Green Knight, conte aussi terrifiant qu’éblouissant.